Il existe de nombreux cas de situations de blocage dans des entreprises familiales. Un conflit qui s’enlise, une personne qui n’est pas à sa place, mais à qui on n’ose rien dire par crainte de briser des liens familiaux ou amicaux,…
Ainsi, j’ai récemment rencontré le cas du fils d’un gérant n’ayant manifestement pas l’étoffe d’un chef d’entreprise. Cependant, il y travaillait déjà depuis plusieurs années, et il en détenait des parts. Personne n’a eu le courage de lui dire que l’entreprise serait vendue. Autre exemple : deux actionnaires détenant chacun 50 % de la société familiale ne s’entendent plus. L’un veut prendre sa retraite et vendre ses parts, mais celles-ci ne sont pas valorisables en l’état (pas de majorité). L’autre bloque toute proposition, désirant préserver son emploi avant tout.
Il existe donc des situations où l’on souhaite évincer un associé qui non seulement travaille dans l’entreprise, mais en détient également des parts. Une discussion franche entre personnes compréhensives suffit parfois pour avancer. Mais que faire lorsque votre interlocuteur est peu enclin à vous écouter et prêt à entrer en conflit ouvert ? Quelle réaction faut-il avoir lorsque la partie adverse est virulente, de mauvaise foi et sourde à tout argument ?
La procédure judiciaire pour obtenir l’exclusion d’un associé (C. Soc. Art. 635-641) est longue, coûteuse, incertaine et fort pénible. Elle affecte, voire paralyse le bon fonctionnement de la société. Un tel conflit judiciaire ne profite généralement à personne, sauf peut-être aux avocats.
Nous verrons ici comment tenter de faire évoluer un interlocuteur particulièrement difficile. Il s’agit de conseils pratiques pour une première réunion qui vise à débloquer une situation crispée :
-Convoquez votre interlocuteur pour une réunion au sujet de l’avenir de l’entreprise. Il faut que le sujet soit clair, afin qu’il puisse s’y préparer. Mais évitez de tenir la réunion avant la réunion ;
-Organisez la réunion en dehors du contexte habituel du travail, p. ex. chez le comptable. Prenez le temps et évitez tout facteur d’interruption (GSM,…) ;
-Si la question vous semble trop délicate, un tiers peut provoquer cette réunion et y assister. Un bon comptable ou un expert en transmission d’entreprise peut veiller au bon déroulement de la réunion et éviter des débordements, tout en donnant son avis éclairé sur la manière de réaliser la transmission ;
-Veillez à garder un bon climat, enfin le meilleur possible. Prenez le temps d’écouter votre interlocuteur. Laissez-le “vider son sac” sans l’interrompre. Ayant pu exprimer ses frustrations, il sera plus ouvert au dialogue ;
-De votre côté, évitez de parler du passé. Si votre interlocuteur évoque des points choquants, évitez de lui répondre, même si vous êtes en profond désaccord. Vous pouvez simplement répondre : “Je ne suis pas d’accord avec tout ce que tu dis, je pourrais aussi exprimer des doléances, mais ce n’est pas l’objet, ce qui compte, c’est l’avenir” ;
-Faites passer votre message clé : le statut qui n’est plus possible. Quelles que soient les raisons, les responsabilités, peu importe le passé, mais maintenant, il faut voir les choses en face, on ne peut plus continuer comme cela. Appuyez vos dires par des chiffres ou des exemples. Pour le bien de l’entreprise, il faut prendre une décision ;
-La menace d’un conflit judiciaire est souvent contre-productive, car votre interlocuteur risque de se rebiffer, convaincu de son bon droit. Par contre, il est important qu’il comprenne que votre parti est pris et que vous ne reviendrez plus en arrière. Votre détermination finira sans doute à lui faire comprendre qu’il doit quitter l’entreprise et qu’il vaut mieux bien négocier la sortie ;
-Ne vous laissez pas entraîner dans une négociation à ce stade précoce. Si votre interlocuteur pose des questions précises au sujet du prix, il faut lui répondre que c’est prématuré et que vous n’êtes pas un spécialiste de l’évaluation. Mais il est bon de lui dire que vous ferez une offre correcte, dans les limites de ce qui peut être accepté par les banques ;
-Par contre, si vous pouvez glaner des informations sur le seuil psychologique de vente de votre interlocuteur, ce serait évidemment fort intéressant. Toute information de sa part pourrait être utile ;
-Une bonne attitude est de prendre des notes. Cela surprendra peut-être, mais ne peut pas être mal pris. Les notes ont un double avantage : démontrer de l’intérêt pour ce qu’il dit et pouvoir reprendre des phrases précises lors de la rédaction du compte rendu ;
-Toute bonne réunion doit avoir un objectif précis. Pour une première réunion, un bon objectif est de “baliser la route” pour la suite. Concrètement, si votre interlocuteur est d’accord de négocier sa sortie, il faut établir un schéma de fonctionnement pour les futures négociations. Etablissez un calendrier réaliste sur lequel chacun donne son accord ;
-Faites un compte rendu de la réunion, actant les positions mais surtout les décisions prises. Sinon, on risque de se retrouver dans peu de temps avec des malentendus ou revirements de position. Ce compte rendu doit être envoyé rapidement après la réunion en demandant aux participants d’émettre leurs remarques éventuelles. Ainsi, on ne pourra pas remettre en cause ce qui a été décidé lors de la réunion.
La clé de réussite pour une négociation difficile est d’entrer dans un processus rationnel et encadré. Pour ce faire, mieux vaut s’entourer de spécialistes. Ils pourront donner un regard objectif et expérimenté sur la valorisation, la manière de réaliser la cession, les conventions, etc. Une approche objective et factuelle permet souvent de débloquer des situations complexes et délicates.